J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015
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janvier 2022

ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | Les marelles englouties de Marie-Ange

 

 

Lyon le Jeudi  20 Janvier 2022

 

A qui dire mes songes au goût de sel ?

Marie.Ange Sebasti, Comme un chant vers le seuil

 

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Très chère Marie-Ange,

Tu allais fêter ton anniversaire en famille, ta 78 ème bougie... je ne sais trop comment, tu ne mangeais plus ou presque ...  Tu vivais d'amour fort et de l 'eau au robinet ou peut - être en bouteille, ça ne change pas grand chose, mais ce devait être ennuyeux et en très petite quantité. J'ai tout imaginé concernant tes problèmes. Pas besoin d'un dessin ou d'un argumentaire. J'ai préféré de loin ta version subtilement rageuse, courageuse accomplie. Car tu les décrivais tous  un par un,  ces phénomènes hostiles, ces envahisseurs éhontés, extrêmement contrariants, tu les mentionnais avec agacement, comme on peut évoquer un paysage moche et menaçant où l'on se sent parfaitement étranger et sans sécurité. Faible de fait, tu souriais quand même, altière passagère du moment, au beau milieu des infirmières, et de tout leur fourbi effarant.

Tu m'as raconté ton bon Guillaume, ton ancien étudiant, l'Oasis de ton enfer sur terre avec vos ultimes traductions communes volées à  la détresse .

J'ai vu que tu parlais  avec  tendresse de tes poèmes en panade, tu regardais ton carnet bien présent... J'y mets tout, disais-tu,  mais je n'arrive plus à retranscrire. Je suis trop épuisée...  Puis-je t'aider ?

Tu aimais les visites, te faisais un devoir de les honorer sans toujours être en état de le faire, elles étaient filtrées par ton doux cerbère-aidant-de-camp, fidèle chevalier servant si riche de ses mots murmurés, de ses gestes incrustés dans une attention permanente. Un homme tendre.

 Tenir bon, tenir salon était le seul moyen  de répéter ta question inaugurale, à certains arrivants  : Est-ce que tu me reconnais ? Ta voix  alors se faisait plus anxieuse, légèrement implorante. Tu attendais la réponse immédiate, comme pour soulever, sans aucun délai, la moindre parcelle d'insincérité.

Soutenir ton regard n'était pas simple, et nous avions le souci  de ne pas en rajouter ou en larmoyer.

J'ai voulu vivre face à toi, même fugacement et tardivement, les sensations de qui se penche d'amble et sans trembler, au bord du précipice.

Je tenais ton regard comme on tient la main d'un enfant pour ne pas le laisser faire un faux pas intempestif. Je sentais bêtement que nous en étions capables, qu'ensemble nous redevenions à la fois téméraires et lucides. Je n'ai donc rien esquivé, d'autres ont fait de même, longuement, je le sais, autour de toi.  Je n'ai pas menti, oui, d'autres ont fait de même, parmi tes proches et tes ami.e.s. Je ne le regrette pas.

Nous nous sommes tant aimées en Poémie Amie... Ce beau pays des Rencontres langagières et amicales.

J'ai commenté, questionnné ta maladie, j'ai affronté les mots présents dans ta bouche et dans ta voix intacte. Six mois d'épreuve à compiler, pour toi, sans aucun répit, sans aucun espoir de guérison. J'ai porté secrètement ta douleur. Ta souffrance physique et morale, ta fatigue monumentale qui ont concassé ton corps, lançant partout des flèches vives et des poisons violents.

Mais tu étais chez toi, dans tes murs familiers, fermement arrimée à ta vie habituelle, à ton amour vivant, sans faille ni  la  moindre ébréchure.

Tu as lutté au mieux, dans ce cocon ancien, tissé par un très long, très beau, compagnonnage.

A peine quelques jours de séparation, pour vous deux, deux êtres fusionnels, s'il en est. Vous avez résisté ensemble jusqu'au bout de la catastrophe. A bout de force, tu as soudain lâché la rampe.  Presque rendormie déjà, en tout cas, les yeux clos par les secousses ambulancières, tu as quitté sans un mot de trop, ton bonheur. Fidèle à ta concision, secrète, discrète...

Attendant, depuis des mois, le soleil des grands départs, tu n'as pas cette fois  dévié ton cap,je l'ai vu  insulaire. 

Regarde, Marie-Ange,  dit ton père, réveille-toi, on voit la Corse !

Tu m'as reçue, cette dernière et belle fois, dans ce petit salon étroit en long, comme un couloir art-déco, près du secrétaire style empire de ta chère mère, bien en face des photos de famille que nous avons commentées : toi sur les genoux maternels, sur un balcon, rue Franklin,d'autres encore aussi belles, mais celle-ci la plus vibrante, la plus actuelle, la plus incomparable. Pièce unique, le début d'un amour vital, une retrouvaille qui m'a paru imminente... On ne l'a pas dit ainsi.

On aurait pu remonter le temps.

Tu as voulu me faire plaisir, et bonne figure mais tu n'as même pas touché au thé délicatement servi par ton compagnon de route et de déroute.  La rondelle de citron  silencieuse et penaude  est restée à plat, au fond de la tasse... On a dit qu'on se reverrait  pour parler poèmes, d'ailleurs on en a lu, les tiens, et en te quittant, on souriait, car  je t'ai traitée de... Françoise Sagan ! ... ce à cause de ton profil aquilin involontaire et de ta coiffure ressemblante... Bonsoir Tristesse... C'était prémonitoire... On a fait comme si de rien n'était. 

Aujourd'hui, je te pleure en sourdine, mon Amie.

Tu nous as laissé tes poèmes. Je t'aime,

Marie-Ange, moi aussi...

 

 

Marie-Th. Web Causeuse,

comme toi, comme toi...

à qui je parle tout bas...

en pensant à  quoi ?  

 

 

Prends donc

ton vol

au dessus des arbres

 

 

Va !  Viens  donc...

rejoindre

ton maquis 

 

tutoyer 

l' asphodèle

 

Prends appui

sur le sable

où les dunes 

s'activent

 

réécrivant

ton nom

en lettres

de baptême 

 

Tu peux dormir

tranquille

la mer les  bénira

 

Nous te suivrons

d'ici

sans oubli 

 

en confiance

 

scrutant 

ta trajectoire

 

sensationnelle

au levant

 

petit point

lumineux

aux doigts

exubérants

 

tenant pour

nous

profanes

indélébiles

et fiers

 

un poème

inédit 

 

venu

de loin

 

venu

de toi 

 

protégé

dans

sa main 

*

 


ETAT DES YEUX | PAR AMONTS ET PAR MOTS | écriture invasive

 

 

On peut toujours améliorer un texte

Le rendre plus fluide plus digeste 

 

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    Autrefois dans le village il y avait des fontaines en pierre surmontées de leur nom gravé sur des plaques aux allures d'épithaphes funéraires. C'était prémonitoire. En dessous les fontaines trônaient ,certaines aussi prétentieuses que des lavoirs, mais elles ont peu à peu disparu, remplacées par des robinets à poussoir , ou carrément enlevées pour économiser l'eau et rationner les touristes. Une laideronne fontaine intermittente dans le style "nous-aussi-en-Province-on-sait-ce-que-c'est-que-l'art-contemporain", a été érigée devant la grosse mairie de pierres de rivière. Elle a clivé l'électorat en-pour- ou-contre à la Dreyfus,  et fait encore aujourd'hui un bruit de splash sonore et miteux, qui donne l'impression qu'on va pouvoir boire enfin quelque chose de frais en s'asseyant sur le muret en pierre calcaire taillée au carré. C'est une illusion. Les cafés et restaurants d'en face et autour sont là pour promouvoir l'eau des alpes ou de vals, en petites bouteilles , l'eau du robinet est bourrée de carbonate de calcium et de bactéries escherichia coli en goguette. Ce n'est pourtant pas encore le manque d'eau, la rivière reste généreuse. Plutôt l'absence de moyens techniques pour  décontaminer ou déminéraliser  et ainsi éviter au passage d'aggraver les affections gastriques saisonnières lorsque la population est multipliée par dix , sans compter les petits malins qui lavent leur bagnole ou arrosent leur jardin avec jubilation. Guerre de l'eau, déjà dans les têtes et les tactiques d'approvisionnement. Dans la garrigue l'eau se cache par peur de l'insolation. Les stations d'épuration ont donc succédé aux drainages rudimentaires, à ciel ouvert ,des caniveaux, certains pestilentiels dans les contre-bas des murailles du bourg médiéval. Les puits sont restés secrètement enclos en des propriétés bien gardées et bien transmises. Le protestantisme jouxtant le catholicisme avec des manières à couteaux tirés. Les puits communs à servitude ont été déclarés insalubres et dertains bouchés. Comme pour la nourriture locale tout a dû passer par les fourches caudines de l'administration et de ses réglementations. Pour s'éclabousser  et ripailler heureux il faut se cacher un peu. 

L'eau des mots, tiens ! Qu'est-ce que c'est ? C'est la matière emmagasinée ou engorgée d'une source mnésique interne, mais laborieusement apprise au contact des autres générations. L'eau est un bien commun qui se transmet, les mots aussi. L'eau des mots éclabousse également. C'est évident et dérangeant parfois. Ses états sont fluctuants en raison de ce qui la propulse, l'agite, la contient plus ou moins facilement. Une vasque d'eau sans mouvement s'envase très vite. Une phrase sans vitalité en fait de même. C'est la mémoire qui bastonne le vocabulaire, le remue, le soulève et lui réclame toujours plus de vigueur et d'efficacité. Avec les ordinateurs et leurs données partagées, la mémoire individuelle s'annexe une mémoire collective qui grossit à vue d'oeil . Les citernes débordent. Apprivoiser toutes les eaux de déverse, comment faire ? Comment dire ?

 

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ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | LE PORTAGE DU MONDE | Voix flottées 1

Aujourd'hui je suis arrivé à creuser un peu sans me dire que ne faisais au juste que déplacer et recouvrir ailleurs, sur une épaisseur plus grande.

Mais au fond, on arrive toujours à ce fouillis de racines en dessous qu'on ne démêle pas et qui pompe sans arrêt pour le secret plus enfoncé qu'on ne voit pas.

Il bat; on l'entend parfois vaguement, la tête collée au sol, très loin, les jours sans vent - ou quand on dort dans l'herbe.

Pour savoir, il faudrait pouvoir pourrir et revenir. Se mêler, s'infiltrer, et revenir. Autant dire qu'on rêve , là.

 

Antoine EMAZ,

Poème de la terre, Bartavelle, 1986, p. 28

                                     

 

 

 

 

 

C'est cette accumulation des récits de vie sur les réseaux sociaux qui rivalise avec les livres. Mais ce n'est pas délétère à mes yeux, j'apprends à prendre la main des autres  dans un registre immatériel qui s'ancre dans le réel et les prélévements que ça suppose pour montrer ce dont il s'agit. Poussière colorée d'un kaléidoscope géant, souvent en noir et blanc. Je ne recule pas encore devant ces crêtes d'océan engloutissant, je reste à distance , une bande de sable suffisante pour voir ce qui se passe de loin, participer a minima au drame ou à l'instant de joie. L'écriture sert d'alibi pour un crime relatif que j'appelle provisoirement empathie ou fascination pour le vivant. Les paysages ne m'intéressent guère , comme si le fait qu'ils puissent contenir des "figures absentes" les rendaient coupables de non assistance à personnes en danger. J'en reparlerai certainement iCi ou un peu autour. Le temps est venu d'écrire en continu.

 

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Peintures de Winslow Homer  - Source web -

 


ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | "CE GESTE D'ENCADRER LA VIE" comme le fait cette jeune femme

 

Pour  Gracia BEJJANI

à la terre Libanaise... écartelée

 

On se retrouve un jour d'hiver, accroupi.e.s et côte à côte,en appui contre un mur, pour filmer ce qui reste, ou ce qui est représentatif d'une idée ancienne sur la joie de vivre et sur les raisons de continuer.  On fait l'inventaire fou de ce qui reste à voir et à penser puis, on s'en va plus loin avec un poids de moins, juste un petit caillou un peu plus discret dans sa chaussure. On l'a relégué dans un angle mort en gigotant avec l'orteil connecté. On reprend peu à peu ses marques : on écrit ce qu'on a à écrire et on crée ce qu'on a à créer. On sourit et on rencontre la vie qui répare ses roues usées, brocante sans charme.